Une histoire d'Ange

Vent, pluie, obscurité

Une silhouette se faufile dans les ruelles. Que cherche-t-elle en un lieu si loin de chez elle? Maintenant elle hésite, elle scrute les ténèbres autour d'elle. La tête légèrement penchée sur le coté elle semble entendre un lointain appel. Ca y est elle continue. Elle a rangé ses ailes blanches, comme si elle sentait qu'ici se serait déplacé. Elle a l'air d'une simple humaine, petite et menue, pourtant personne ne l'arrête, ne lui pose de questions. C'est d'autant mieux qu'elle serait incapable d'y répondre, à ces improbables questions.

Aux yeux des quelques humains qui trainent dans les parages, elle n'est qu'une ombre furtive, un mirage. Aujourd'hui pour la première fois depuis longtemps elle n'a pas envie de chanter. Peut être serait ce aussi déplacé?

Depuis combien de temps errait-elle sans but? Il lui semblait une éternité, mais non, depuis quelques heures à peine, comme quoi on peut faire beaucoup de chemin en quelques heures. Une intuition, un pressentiment l'avait poussé loin de ses préoccupations du moment. La pluie plaque ses cheveux contre son visage, le vent rabat les pans de sa tunique le long de ses jambes. Elle ne s'en soucie pas. Elle sent au fond d'elle qu'elle approche de son but, but qu'elle ignore toujours.

Voilà que la ruelle prend fin, et s'ouvre sur une vaste place. Elle avance, et prise d'une subite envie elle saute à pied joint dans une flaque d'eau. N'est ce pas ce que font les enfants mortels les jours de pluie? Mais elle n'est pas une enfant, et pas mortelle non plus. Un rire s'échappe de sa gorge, brisant le silence. Elle s'en moque. Elle veut partir, retrouver ses camarades, son foyer. Elle ne le fait pas, pas tout de suite. Elle lève les yeux sur le bâtiment qui lui fait face, une église. Gothique selon elle. Le clocher semble s'élancer vers le ciel, comme les prières des croyants qui tentent d'atteindre le Seigneur. Mais plus ici, l'église est vide, peut être est-ce normale à cette heure? Elle se sent attirée vers l'avant, après tout c'est un refuge comme un autre..

Le bruit de ses bottines heurtant la pierre résonne dans la nuit. Elle observe les statues des saints. Si elles pouvaient penser seraient-elles surprises, heureuses de la voir? Qui sait.. Son attention est attirée par quelque chose appuyé contre une des portes, à l'abri de la pluie. Elle s'accroupi, ramasse l'objet et pousse les portes pour entrer à l'intérieur. Elle s'installe au dernier rang, et pose l'étui d'un violon sur ses genoux.Ce n'était pas le sien, le sien elle l'avait installé à coté d'elle, une présence rassurante. Machinalement, ses mains soulèvent le couvercle. Un frisson lui parcoure le dos. Comment? Pourquoi?

Ses doigts carressent les cordes, une vague douleur.. Elle croit comprendre. Son pendant démoniaque n'est plus. Enfin si, mais son âme de violoniste l'a quitté, elle ne le connait plus. L'a-t-elle seulement connu autrefois? Peut être, ce qu'il a bien voulu lui laisser découvrir du moins.

Elle le revoit,son sourire un peu moqueur, ses yeux scrutant le trouble qu'il déclenchait en elle et qu'elle tentait désespérement de cacher. Un démon? Oui sans aucun doute, mais un musicien avant tout et c'est ce qu'elle voyait en lui.
Elle l'entend encore, sa musique, si sombre, si impie, si..belle.

Elle soupire. Pourquoi...Elle sourit. Serait il faché si elle se permettait? Après tout, il lui avait bien proposé une fois par le passé.
Elle n'hésite plus, ne réfléchit pas trop. Elle saisi délicatement le violon et l'archet, puis s'avance dans l'allée centrale. Le bois de l'instrument est froid sous ses doigts. Elle se souvient de son avertissement:"c'est normal"lui avait-il dit.

Elle pose le violon dans le creux de son épaule, l'archet se rapproche des cordes. Un doute. Le peut-elle sans son aide? On allait bien voir. L'archet glisse sur les cordes. Une note grinçante. Elle ferme les yeux, se laisse guidée, sa main n'hésite plus. La mélodie s'élève, brutale. Elle résonne dans le choeur de l'église. Les notes s'égrennent, elle ne sait plus qui d'elle ou du violon est l'instrument. Sans s'en rendre compte ses ailes se sont déployées, deux flaques blanches dans la semi obscurité ambiante. Les minutes, les heures s'écoulent, elle joue toujours. C'est sa manière à elle de saluer le départ de l'âme violoniste de Ciyn. Elle le croisera peut être à nouveau, mais elle sait que celui qu'elle a connu, même si peu, n'est plus.

Petit à petit elle sort de sa torpeur. Elle ouvre les yeux. Une larme légèrement teintée de sang coule le long de sa joue. Elle prend son propre violon et le remet à sa place, dans son dos, protégé par ses ailes. Elle range l'autre dans l'étui où elle l'a trouvé. Doit elle le laisser ici, dans cette église? Sans savoir pourquoi elle sent qu'il est dangereux pour elle, mais tant pis. Elle sort de l'église et se met à courir sous la pluie, s'enfonçant dans les ruelles. Elle a hâte de rejoindre ceux qu'elle considère comme sa famille.

Serrant contre son coeur l'étui de l'étrange instrument, Kassandre ne sait pas si elle en rejouera un jour. Elle n'aime pas faire des infidélités à son violon adoré,e t quelque chose au fond de son âme la met en garde. Mais pour rien au monde elle ne l'aurait abandonné.
Et puis peut être était il déjà trop tard..
Elle jeta un coup d'oeil aux nombreux fidèles présents autour d'eux, tous écoutant attentivement le sermont du prêtre. Etrange comme ils semblaient ne pas s'appercevoir de leur présence..
"Je t'assure ça pourrait t'être utile" lui dit Bisounours, l'ange assis à ses cotés. Elle aimait flâner avec lui, discutant de chose et d'autre entre deux chocolats chauds. Elle relu le nom du magazine qu'il lui tendait, "Guns and Bullets", et se mit en devoir de le feuilleter. Elle n'y connaissait décidemment rien aux armes..
Elle se demanda distraitement si c'était un péché de discuter d'objets clairement destinés à tuer dans la maison de Dieu. Bah après tout personne ne se formalisait de leur discussion.
"Mais tu sais, je préfère trancher du démon avec mon archet!"
L'atmosphère changea subtilement, sans qu'elle s'en apperçoive tous les humains avaient désertés l'église, tous sauf un, qui semblait en pleine comtemplation du gigantesque crucifix qui dominait l'église. Avec sa dernière phrase elle avait sans le vouloir attirer son attention.. Bisounours se mit à trembler de rage, tandis que le jeune homme se rapprochait d'eux.
"Ai je bien entendu? Seriez vous musicienne?" En disant cela il s'était légèrement incliné vers l'avant, ses longues mèches noires balayant son visage pâle, masquant un bref instant un profond regard au reflet rouge..
Bisounours répondit à sa place:"Oui mais toi tu es un monstre!"
Le regard de Kassandre faisait des aller-retour "jeune homme- Bisounours fulminant", sans trop comprendre, puis elle brandit son violon avec un sourire, comme pour confirmer les dires de l'ange (du moins la première partie). Se faisant, elle sentit clairement que le jeune homme n'en était pas vraiment un, et qu'il n'était pas un des leurs non plus. C'était donc un démon, ce qui expliquait la réaction de Bisounours, mais elle ne se sentait pas plus menacée que cela..
"OH, il se trouve que je suis moi même violoniste."
Le sourire de Kassandre s'élargit un peu plus, ses yeux pétillaient:elle n'aurait jamais cru renconter un collègue, et surtout pas chez les démons! Elle ne résista pas à la tentation de lui demander à voir son violon, ce qu'il accepta. Il ouvrit un étui contenant un magnifique Stradivarius. Elle n'en avait jamais vu de pareil.. Bisounours avait l'air plus calme, mais sa main était toujours crispée à son arme. Poussant sa chance un peu plus loin, elle lui demanda de jouer un air. Peut être fut-il touché par le ton mi-curieux mi-implorant de sa voix,car il s'exécuta. Elle savoura les sonorités étranges, les accords mélodieux si différents des siens, et reconnu à regret le prélude de la fin, et les dernières notes qui s'éteignirent.
Motivée par la performance, et sur la demande de Bisounours, elle sauta sur le banc où elle était assise et se mit à jouer de tout son coeur. La mélodie pure et joyeuse laissa son homologue démon de glace, mais ne s'en formalisant pas outre mesure, elle passa à quelque chose de plus rythmé. Elle fini par redescendre du banc, arrachant un petit sourire d'approbation au démon, quoiqu'ironique peut être. Elle s'apprétait à remercier Bisounours pour ses encouragements, quand un bruit la fit susauter et..

Kassandre ouvrit grand les yeux. Un rêve, mais d'une époque assez lointaine, elle ne faisait même pas encore partie de la Frater Angelis.
Pourquoi ce moment, cette rencontre là précisemment? Elle observa le plafond au dessus d'elle, comme si les réponses étaient cachées quelque part dans les méandres des poutres en bois. De plus, ça ne s'était pas vraiment passé comme cela, pas dans une église.. L'église!?
Elle ressemblait étrangement à celle où..

Prise d'une inquiétude, elle se redressa et sonda l'obscurité de la chambre. Cela elle ne l'avait pas rêvé. Le violon de Ciyn reposait toujours dans son étui, posé sur une petite table depuis la nuit où, elle ne sait trop comment, elle l'avait récupéré. Quelque chose clochait avec l'étui justement..Son couvercle était ouvert, pourtant depuis cette nuit elle n'avait plus osée y toucher! Quittant prestement son lit, elle s'approcha tout d'abord lentement de la table. Se sentant ridicule, pourquoi tant d'appréhension, elle franchit le reste de la distance d'un pas vif. Après tout peut être était-il mal verrouillé? Au moment où ses mains se posèrent sur le couvercle pour le refermer-convenablement cette fois-elle remarqua qu'une des cordes s'était détachée d'une des extrémités. Elle ne pouvait pas le laisser ainsi, et entreprit de retendre cette maudite corde, qu'elle soupçonnait fortement de l'avoir réveillé, et Kassandre détestait être réveillé en sursaut.

Tandis qu'elle manipulait la corde, un sentiment de malaise lui étreignit le coeur. Elle mit cela sur le compte des souvenirs que lui évoquait l'instrument. Brusquement elle porta les mains au visage, comme si on l'avait frappé. Elle s'écroula, des images défilant en flash devant ses yeux. Peur, douleur, et du sang, tellement de sang qui coulait des corps profanés de ses frères.
Elle dut rester un moment ainsi, prostrée, n'osant, ne voulant pas comprendre, un poing pressé contre ses lèvres pour étouffer le cri prèt à jaillir. Frissonante, elle se releva tant bien que mal, s'appuyant au mur. Le violon, ses cordes maintenant parfaitement tendues, luisait faiblement dans la lueur de l'aube naissante.

Comment avait-on pu faire une chose pareille, se servir d'anges..comme un vulgaire matériel, pour faire des cordes de violon!! Et elle, elle qui n'avait rien compris, qui avait admiré et joué les sons mélodieux tout droit tiré du martyre de pauvres malheureux. Mais le pire, c'était cet horrible sentiment de culpabilité qui lui percait l'âme.. Car malgré cela, elle ne regrettait pas. C'était incompréhensible mais elle se sentait même capable de recommencer. Seulement elle ne devait ni ne pouvait le faire.

Elle referma fébrilement l'étui du violon qui semblait la narguer à présent, et prenant presque machinalement son propre violon qui ne la quittait jamais, elle sortit à la recherche de calme, il fallait qu'elle réfléchisse, qu'elle se resaisisse.

"Zut Kass secoue toi les plumes"grommela-t-elle pour elle même, puis elle se mit à fredonner "les démons c'est tous des petits, pas de leur faute z'ont pas d'amis", histoire de se changer les idées, mais même à ses propres oreilles elle entendait que le coeur n'y était pas."